« Chaque chose en son temps », « tuer le temps », « vivre dans l’air du temps » … Nous avons tous un rapport au temps singulier. Le temps social, le temps de l’horloge, le temps mesurable nous permet de nous repérer, de partager un temps social. Mais c’est un temps très impersonnel, tout le monde peut le prendre sans jamais l’attraper. Ce temps conceptuel est pour autant celui qui régit toutes nos actions et « progresse l’hégémonie du temps chronologique, celui du monde marchand et de sa rationalisation, celui résultant de la dictature du temps horloger » (Dubar, Du temps aux temporalités, p.4). L’institution est dans le faire, le Chronos, le temps imparti, il faut que ce soit rentable. On ne s’arrête pas, « le temps c’est de l’argent » !
Sans obligation de produire, l’art-thérapie se détache des objectifs et obligations quantitatives des institutions. Ces dernières sont prises dans une temporalité imaginaire, définie socialement et représentée par la montre ou l’horloge. La temporalité proposée par l’art-thérapie est éphémère, non mesurable, singulière. Elle se détache de la production. Mais il faut faire avec le fonctionnement de la société.
Le temps social est une convention, le temps psychologique un ressenti. Chacun a son propre temps, son propre tempo. Partant de ce principe il serait peut-être plus approprié de parler d’un temps. Un temps, parce qu’il en existe plusieurs, un temps parmi tant d’autres, un temps pluriel. L’art-thérapeute doit s’adapter à la société (on ne peut pas prendre de rendez-vous à minuit ou prendre un retard d’une heure à chaque rendez-vous), mais ne pas se laisser happer et garder son cadre et sa pratique singulière.
L’adaptation c’est aussi garder le fil de l’art-thérapie en tête. L’urgent n’est pas important, c’est le sujet qui est au cœur du travail de l’art-thérapeute. Dans son article « Du temps aux temporalités », Claude Dubar cite Heidegger en évoquant « le temps singulier pluriel » (p.2), le temps perçu et le temps de l’horloge. Le temps n’est pas perçu de la même manière par chaque individu et dans chaque situation. Qui n’a pas regardé cinq fois sa montre dans la même minute lors d’un cours interminable ?
Prendre le temps, c’est aussi ne pas suivre de protocoles. Ou alors avoir la possibilité, la faculté de les contourner, les modifier, les adapter. C’est tout un art, l’adaptation. C’est un jeu de tous les jours, faire « comme si » on ne savait pas. Des jeux destinés aux enfants gardés en nous. Cet enfant en soi est une « réouverture au temps, une ouverture à la temporalité psychique » (Marty, Initiation à la temporalité, p.13). Et c’est cette temporalité qui m’intéresse en art-thérapie.