Les injonctions

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Sommes nous tous soumis à des injonctions ?

Qu’est-ce qu’une injonction ?

Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, une injonction est un « ordre, commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement exécuté et qui est souvent accompagné de menaces de sanctions ». On ne peut pas y échapper donc. Cependant dans cette définition il y a une notion de clarté, d’énonciation précise sans doute possible. Les injonctions sociales et psychiques sont un peu plus sournoises.  

Que sont les injonctions psychiques ?

Chaque personne se construit et se définit avec ses facteurs internes (psychiques, ses fonctionnements, manières de penser) et les facteurs externes (la société, son histoire, son contexte historique – naitre pendant la guerre n’est pas anodin- , son contexte géographique…).

N’en déplaise à M Freud, aujourd’hui nous parlons de sujet pour définir une personne à part entière, unique. Le père de la psychanalyse voyait les individus comme pluriels, donc la notion de sujet ne convenait pas. Cependant aujourd’hui, cette notion revient au cœur des recherches psychanalytiques.

Chaque être est d’abord en symbiose avec sa figure maternelle avant de se rendre compte qu’elle n’est pas lui et qu’il n’est pas elle. Convaincu d’être un être à part (entière) il lutte pour prouver son existence, alors qu’il est assujetti au monde qui l’entoure (pour se nourrir, être protégé…). C’est le fameux terrible two qui parlera peut être aux parents… Puis cet être détaché de sa figure maternelle mais attaché à la société se « plie » aux normes sociales pour survivre.

Et les injonctions dans tout ça ? Ce sont ces « ordres » ces « directives » que le sujet semble se donner seul mais qui sont issus de son parcours personnel. Son éducation (quel poids pour les parents…), son histoire (personnel mais également le contexte historique dans lequel il est nait, certaines études ont déjà montré que les enfants nés pendant le COVID sont également nés dans un contexte peu anodin…), ses rencontres… La personne évolue avec un cadre déjà construit autour de lui, et donc des injonctions en lien avec ce cadre : être comme ci ou comme ça, faire ceci ou cela, respecter telle règle ou tel principe…

Des injonctions sociales ?

Mais quel rapport avec la société ? Aujourd’hui, notre société moderne est fortement tournée vers la réalisation de soi, la toute-puissance, la quête identitaire étalée aux yeux de tous. Une société narcissique en somme. Mais si souvenez-vous, Narcisse qui tombe amoureux de son reflet dans l’eau et en dépérit. Ce sont nos selfies d’aujourd’hui non ?

Écho et Narcisse (détail), John Williams Waterhouse, 1903 © Wikimedia Commons

Cette société donc nous renvoie des messages contradictoires : il y a de plus en plus de richesses de produites, mais de plus en plus d’inégalités ; chaque invention nous fait gagner du temps, mais chacun se plaint de ne pas en avoir ; l’accès à la connaissance est de plus en plus facile, mais il y a de moins en moins d’érudits… Et ce monde paradoxal nous renvoie également des injonctions paradoxales : l’individu est sommé d’être libre, d’être autonome, d’être unique, de se chercher ; mais pour se faire il doit rentrer dans des « cases » décrites et définies par l’extérieur : les « bons » diplômes, le « bon » salaire, la « bonne » situation familiale… Même si ces cases ne sont pas les mêmes pour tout le monde, chacun s’apparente tout de même à un groupe et aux idéologies de celui-ci. Nous sommes donc soumis aux injonctions de la (ou des) minorité(s) que nous choisissons (parents, salariés, musiciens, écolo…)

Quelles seraient les injonctions sociales ?

Toutes les « cases » et normes de la société sont aujourd’hui confondues. Il n’y a plus de cadre structurant et rassurant pour l’individu. Bauman la qualifie de « société liquide ». Plus de cadre que l’on peut remettre en question, en groupe soudé. Chacun se bat pour soi et donc face à ces multiples combats, plus rien ne se passe.

Ce qui est bien dans un sens parce que ces groupes étaient inégalitaires et renforçaient les disparités (ouvriers/cadres par exemple). Mais ce qui est moins bien c’est pour la construction psychique : chacun peut se connecter avec tout le monde rapidement, mais ce sont des relations fugaces, éphémères. Il faut aller en chercher de nouvelles rapidement. En chercher, pas en construire. Comment le sujet peut il se définir s’il n’est pas stable dans ses relations ? Comment peut-il interpréter le regard des autres ?

Aujourd’hui, de nouvelles injonctions s’imposent à nous : lutter contre la désinsertion sociale. C’est-à-dire lutter pour exister socialement. Alors qu’auparavant on pouvait lutter pour sa classe ou pour en sortir, aujourd’hui on lutte pour faire partie d’un groupe, comme les classes n’existent plus. Et si l’on se retrouve « débranchés » (que nous ne sommes plus « branchés »), nous luttons pour appartenir à un autre groupe.

Alors on se cherche à travers toutes ces « cases éphémères » que l’on traverse. Et se réaliser soi, en qualité de sujet à part entière devient de plus en plus important ; pour montrer à notre groupe d’appartenance que nous sommes uniques… C’est un peu le serpent qui se mord à queue quoi.

Se réaliser… mais à quel prix ?

La société actuelle prône le sujet unique, qui s’affirme et se dévoile. Mais à trop vouloir s’individualiser, on se confond dans notre égocentrisme, qui appauvrit notre expérience psychique. Nous ne prenons plus le temps de se chercher, nous ne faisons que montrer qui nous sommes sans même nous connaitre. Il y a de moins en moins de consistance de Soi.

Comment s’en détacher ?

Pas facile alors de se détacher de ces injonctions sociales. « L’homme est un animal social » (Aristote) qui vit en communauté(s ?) et donc avec des règles à respecter. Mais aujourd’hui chacun veut (et peut si j’ose) s’affirmer comme unique et n’appartenant à aucun groupe ou à plusieurs. On fait même des baccalauréats avec tellement d’option que plus personne ne passe le même examen !

Bien que se détacher des autres n’est pas possible (être complètement autonome aujourd’hui doit être très difficile, et même psychiquement nous avons besoin d’interactions), se détacher des injonctions sociales peut être envisageable. En partie du moins, puisque certaines nous ont construit comme sujet, n’allons pas tout déconstruire au risque de tout recommencer 😉

La méditation semble être un bon point de départ pour être dans l’ici et maintenant (attention à ne pas faire de la méditation pour rentrer dans un groupe et en faire sa pub^^). Se reposer les questions de l’urgent et de l’important (est urgent ce qui a une deadline, est important ce qui est socle et nécessaire). Mon fils de 3 ans me disait un jour en forêt : « se promener, c’est essentiel ». Je ne suis pas sûre qu’il ait bien compris ce qu « essentiel » voulait dire, mais je suis d’accord avec lui.

Sommes nous obligés de vivre ainsi ? En quête permanence de richesse, de statut, de liens, de « j’aime »… ? Et vous, comment faites vous pour détacher des injonctions ?

A lire : L’injonction d’être sujet dans la société hypermoderne : la psychanalyse et l’idéologie de la réalisation de soi-même de Vincent de Gaulejac (https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2011-4-page-995.htm)