Nous avons déjà brièvement évoqué l’importance de la non interprétation en art-thérapie. L’interprétation c’est ce qui fait sens pour un individu ; et ce qui fait sens pour l’un ne fait pas forcément sens pour l’autre. Les manipulations en séance, ces bricolages, ces ratages n’ont de sens que pour les personnes qui créent. En art-thérapie, il n’y a ni temps ni espace pour l’interprétation (ou inter-prétention selon Jean-Pierre Royol). C’est ce sens qui permet un « réordonnancement du matériel psychique » (Freud, Totem et tabou).
Interpréter une création lors d’une séance d’art-thérapie reviendrait à imposer un sens au sujet, ne pas prendre en compte sa singularité. Les interprétations peuvent être prises comme des coupures lors des séances et ainsi interrompre le cheminement de la trace psychique du sujet. Cette pratique permet de définir un espace à l’abris de toute intrusion (morale, sociale, etc…).
C’est pour cela que l’interprétation est vaine, nous ne pouvons pas concevoir ce qui fait sens dans une histoire que nous ne connaissons pas et dont la narration est en mouvement à chaque instant. C’est bien dans l’ici et maintenant que doit se situer l’art-thérapeute, pour laisser l’éprouvé ressurgir dans un temps hors séance et faire sens (ou pas) pour le sujet.
Aujourd’hui, je pense que l’art-thérapie est également une possibilité de proposer au patient une parenthèse, un temps pour soi, un autre moyen d’expression qui demeurera comme un secret pour le sujet. Lui permettre de s’ouvrir au sujet de l’inconscient, à sa singularité. L’art-thérapeute doit être en mesure d’accueillir chaque sujet tel qu’il est, sans chercher à se faire son objecteur de conscience, son guide. « Il lui appartient d’ouvrir un espace poétique, un lieu de rêverie où imaginaire, fantasmes, mensonges, etc. peuvent s’ouvrir dans cet espace contenant à l’abri de toute intrusion. L’espace art-thérapeutique doit être dépollué des projections imaginaires et des ressentis de l’art-thérapeute qui se doit d’accueillir tout patient sans jugement, sans a priori, sans idées préconçues au risque de figer le processus » (apports sur les trois art-thérapies définies par JP Royol).
Il me semblait important de mettre l’accent sur le processus psychique, le moment présent de la séance et la non interprétation des productions. Le temps de rencontre avec un sujet aussi doit être mis en valeur. Ce temps de rencontre, c’est prendre en compte la souffrance psychique avec un autre regard, une autre posture : « la nécessité pour l’art-thérapeute de prendre le temps de la rencontre et la fonction d’un support « pas de côté » qui fait ouverture face à l’angoisse du sujet » (Decque, Angoisse du sujet : le dispositif poétique comme support de langue pour initier une rencontre avec moins d’angoisse).
« La parole, le symbolisme, le mythe, les rites, la tradition, l’histoire, les mœurs, les idéologies et, hélas aujourd’hui ce qui est transmis par les médias. Tout ce domaine relève d’une science de l’interprétation » (Green, Diachronie en psychanalyse) .
